Le temps de faire un autre pas
Comme c’est le cas de la majorité des gens que je croise régulièrement en allant à mon entraînement au Centre ÉPIC, je ne connais pas cette personne. Nous nous entraînons souvent le matin, de 8h00 à 8h45. Étant plus rapide que Marie pour la douche et l’habillage, (bon, on s’entend, on pourrait simplifier la phrase en enlevant les six mots qui précèdent la première parenthèse…) je l’attends parfois dans la voiture en écoutant la radio. Cette dame arrive immanquablement autour de 9h20.
Tête haute, petit sac à dos, ses jambes sont petites et déformées. Elle marche avec l’aide d’une canne. À chaque petit pas, son pied se déplace à peine devant l’autre. Elle recommence son mouvement vacillant, sans relâche, jusqu’à l’escalier de l’entrée.
En la regardant faire, j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de rampe d’accès à cet endroit. Elle tient donc la rampe de sa main gauche et se soutient avec sa canne, qu’elle tient dans sa main droite. Elle monte chaque marche comme si elle exécutait un mouvement de tai-chi, à la même cadence, tout en souplesse, en contrôle et avec lenteur. Malgré cela, elle monte de la même façon que la plupart des gens, posant un pied sur une marche et le suivant sur l’autre.
Un matin, cette semaine, je suis sorti un peu plus tard qu’à l’habitude. Au moment d’ouvrir la porte vers l’extérieur, elle arrivait en haut de l’escalier. Je lui ai bien sûr tenu la porte pour qu’elle entre. Sans essoufflement ni sueur particulière, elle m’a joyeusement remercié et souhaité le bonjour.
Comme je l’ai vu souvent sur le visage de nos mères, celle de Marie et la mienne, elle semblait bellement heureuse de pouvoir encore avoir le temps de faire un autre pas.
Dans l’élastique du temps, on observe et on considère rarement le pouvoir de cet état. À deux reprises, cette semaine, nous sommes allés offrir nos sympathies à des amis qui ont perdu un parent. Ce genre de visite donne aux choses les plus banales une autre perspective. Parfois, répéter les mots leur donne davantage de sens. Quel plaisir « d’avoir le temps de faire un autre pas ».
Yvan et Marie