Un certain lundi…
Ça fait maintenant trois semaines que je travaille à différentes tâches de l’organisation de ces élections. Ça fait trois semaines que j’envisage ce lundi 7 avril 2014 avec un mélange d’enthousiasme et de nervosité. J’ai déjà été scrutateur et secrétaire à une table de scrutin. Ma première implication dans une journée électorale avait d’ailleurs été à titre de secrétaire lors de l’élection provinciale de 1976. C’était la première fois que le Parti Québécois avait été élu comme gouvernement du Québec. Je ne me souviens pas du nombre de fois que nous avons recompté les votes de notre urne, tellement nous étions étonnés du résultat.
De mon côté, ma première expérience comme secrétaire lors d’une élection est toute récente; c’était aux dernières élections municipales, en novembre dernier. Cette fois-ci, par contre, les enjeux étaient fort différents, il va sans dire. D’autant plus que, ayant été impliquée d’un peu plus près, à différents moments avant le jour même du scrutin, cela m’a fait prendre conscience de plusieurs étapes du processus et aura contribuéà rendre cette expérience plus signifiante.
Cette fois-ci, pour la première fois, j’étais PRIMO, c’est à dire Préposé à l’information et au maintien de l’ordre. En d’autres mots, le « patron » d’un bureau de vote. En plus, pour me mettre en confiance et pour me stresser un peu aussi, parmi mes adjoints étaient Marie, Antoine (le Gentil géant), Chloé sa copine et Maryse, la sœur jumelle de Chloé. Non seulement je sentais que je devais être bon dans des fonctions que je connaissais peu mais je devais l’être dans un environnement où des gens importants pour moi étaient impliqués. Malgré une préparation particulièrement méticuleuse, ma nuit de dimanche a été mouvementée.
Les trois jeunes occupaient les fonctions d’aide-primo. Moi aussi, en plus d’être responsable de la table de vérification de l’identité des électeurs. Mais, malgré une préparation rigoureuse, est-on jamais assez préparé à l’imprévu?
J’appréhendais surtout la période de 8h15 à 9h30. C’est la période où la vingtaine de personnes prévues pour travailler ensemble durant cette journée se retrouvent pour la première fois. En l’espace d’un long claquement de doigts, on doit aménager les lieux, se présenter, s’installer à son lieu de travail et organiser son espace et les outils à utiliser toute la journée: les affiches, les bulletins de vote, la liste électorale, les listes de contrôle. Je suis le chef d’orchestre d’un spectacle que nous n’avons jamais répété ensemble. Pourtant, chacun semble s’affairer à bien jouer sa partition. Antoine et ses amies, qui sont arrivés juste à temps, vont efficacement placer des affiches un peu partout dans l’école où nous serons pour la journée. Chaque table s’organise et le travail d’équipe s’installe. Après les premiers votants et une rapide discussion avec chacun sur son évaluation des premières situations, je respire probablement pour la première fois depuis la dernière heure.
Une fois le premier mouvement joué, nous devons nous concentrer sur une symphonie qui durera presque 11 heures. Si les premières heures sont plutôt tranquilles, la deuxième moitié de cette journée verra défiler un flot régulier d’électeurs. Il paraît qu’il fait beau dehors! En général, la complicité à chacune des tables s’est bien installée, sauf dans un cas, où les liens entre les trois membres semblent tendus. Quoi qu’ìl en soit, chacun pourra exercer son droit de vote dans une atmosphère de réflexion et de respect.
On m’avait dit que la journée serait loooooooongue et bien tranquille à ma table de vérification… Pourtant, nous avons été occupés toute la journée à diverses tâches: vérifier les coordonnées des gens dont le nom n’apparaissait pas sur la liste électorale, offrir de les inscrire à ceux qui n’étaient finalement pas inscrits en vue d’une prochaine élection, composer avec leur déception de ne pas pouvoir voter cette fois-ci, compiler à chaque heure puis à chaque demi-heure les données des « voteurs » pour les représentants des partis politiques, téléphoner régulièrement au bureau de la circonscription pour diverses vérifications, manger un morceau sans nuire au processus… Nos trois jeunes aide-primo, eux, ont rapidement compris leur rôle et pris un rythme de croisière, se relayant régulièrement aux trois postes-clés, accueillant les gens à l’entrée principale ou à l’entrée du sous-sol, indiquant le chemin, dirigeant les électeurs vers leur section de vote, relayant l’information, répondant courtoisement aux questions et avec empressement aux demandes spéciales. Toute une équipe! Au bout du compte, l’heure de fermeture a fini par arriver, beaucoup plus vite qu’escompté!
À 20h00, les derniers électeurs quittent la salle. Le décompte méticuleux et détaillé peut alors commencer. Je me partage entre les cinq tables de scrutin, évaluant les situations, donnant des conseils, félicitant les bons coups. Quand une table a fini son travail, j’apporte la feuille des résultats à Marie qui téléphone à la centrale de la circonscription. On se croirait alors dans un film de guerre ou d’espionnage. Pour des raisons de sécurité, Marie doit donner un mot de passe tiré d’une liste de mots tous plus hétéroclites les uns que les autres avant de divulguer les résultats. Vers 21h30, nous cinq, de la famille Deslauriers-Lalande-Normandeau, emplissons la voiture des boîtes de scrutin et du matériel électoral, heureux de notre journée et du rôle que nous y avons joué. Depuis maintenant trois semaines et tout particulièrement pendant cette dernière journée, nous avons agi professionnellement, sans faire connaître ou afficher nos orientations politiques personnelles.
Retour brutal à la réalité, en chemin vers le bureau de la circonscription: à la radio, Mme Françoise David, dans son discours, interpelle le « nouveau premier ministre », M. Couillard. Arrivés à la centrale, nous apprenons les détails de la « situation », cette si grande différence entre les résultats du Parti Libéral et du Parti Québécois. Depuis que je suis adulte, même si je suis plutôt fédéraliste, le Parti Québécois a joué un rôle actif dans ma vie politique. Il proposait un rêve de bâtir une société francophone dans une Amérique anglophone et hispanophone. Est-ce que ce rêve n’était que le rêve d’une seule génération? Quelle sera donc la société de Félix et Antoine? Depuis que j’ai l’âge de voter, le Parti Québécois a représenté le changement, l’avenir, l’espoir. Mes espoirs et l’avenir que je souhaite à mes enfants ne s’arriment plus avec les orientations prises ces dernières années par ce parti qui fait maintenant de la politique comme « les vieux partis ». Rien à voir avec le fait d’être vieux… Mais je ne me reconnais plus dans ces stratèges électoralistes, ni dans certaines orientations.
De retour à la maison, on écoute, un peu sonnés, les discours des chefs de partis. Du point de vue du travail, la journée s’est bien passée. D’un point de vue politique ça reste à voir. Épuisé, physiquement et psychologiquement, je m’écrase dans le lit. Je ne me souviens pas de la nuit de lundi à mardi.
Depuis lundi soir, nous récupérons. De la fatigue des longues journées. De l’étonnement engendré par les résultats de cette élection. De la somme phénoménale de travail, d’énergie (et d’argent…) que le processus électoral engendre. Des conséquences que notre système électoral représente, puisque non-proportionnel. On vit en démocratie, Dieu merci! Toutefois, la démocratie, ce ne devrait pas être qu’un processus électoral…
Yvan et Marie