De mots et de chiffres…
Cette semaine, nous étions partagés: d’une part, Yvan voulait profiter de l’élan des Olympiques pour parler de statistiques troublantes; de mon côté, je préférais souligner un paradoxe lié aux mots… Qu’à cela ne tienne… Nous avons choisi un titre qui ouvre la porte aux deux!
L’une des choses que j’apprécie le plus cette année, c’est d’avoir du temps pour écouter certaines émissions de radio durant la journée. Encore une fois, mercredi matin, j’ai été été charmée par la chronique des « Humanistes » de l’émission Médium large de la première chaîne de Radio-Canada; Rachida Azdouz, André Champagne et Éric Pineault s’y sont amusés à parler de la « langue de bois ».
À l’aube d’une éventuelle, plus que probable et prochaine campagne électorale où les candidats vont s’ingénier, encore une fois, à nous débiter des phrases toutes faites, des mots qui ne veulent souvent rien dire et des segments « formatés » plutôt vagues et flous, cette chronique est éclairante et rafraîchissante! On y apprend à distinguer les mots « jargon », « politiquement correct » et « langue de bois »; on nous rappelle l’origine russe de l’expression elle-même, on présente des exemples staliniens éloquents et on cite d’autres exemples bien contemporains de « bullshit », mettant la loupe sur ce que certaines sociétés choisissent de camoufler en utilisant des mots bien choisis – clin d’œil ici à mes ex-collègues, qui utilisent maintenant couramment l’expression « gestion axée sur les résultats », qui « bonifient » à qui mieux mieux et qui « font du pouce sur les idées des autres »!
Bonne écoute! http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2013-2014/chronique.asp?idChronique=329051
Les mots me fascinent. C’est connu. À une extrémité du spectre, donc, la langue de bois.
Et puis, jeudi soir, j’ai eu l’immense plaisir d’entendre Danny Laferrière lire des mots: les siens et ceux de certains poètes haïtiens. Pendant un peu plus de deux heures, nous étions suspendus, attentifs et submergés par un si grand flot de mots et cette voix douce et grave. Les mots lus bien sûr, extraits choisis soigneusement, évocateurs de couleurs, de textures, d’émotions multiples. Les mots dits aussi, spontanément, éloquemment et aisément.
Complètement, donc, à l’autre bout du spectre!
Je ne peux pas résister: je vous en cite quelques uns, tirés de son dernier livre, que je me suis empressée d’acheter. Ce livre est une réflexion sur la lecture et l’écriture.
Journal d’un écrivain en pyjama, Dany Laferrière, Collection chronique, Mémoire d’encrier
« Me voilà, avec pour toute fortune au fond de ma poche les vingt-six lettres de l’alphabet. De phrases en paragraphes, de paragraphes en chapitres, pour former une montagne sous laquelle s’agitent des sensations, des impressions, des émotions. J’ai lancé tout ça au visage du lecteur inconnu qui, au lieu de s’en indigner, l’a reçu avec amabilité. »
Vingt-six lettres! Quand même… Vingt-six lettres pour dire quelque chose et pour passer d’une extrémité à l’autre du spectre… Vingt-six lettres!!!
Et on arrive aux chiffres!
Nombre de médailles, courses mesurées au centième de seconde, sports jugés avec des scores qui se terminent en centièmes de points, pendant deux semaines j’ai eu le bonheur de suivre sans me presser la plupart des compétitions.
Au-delà des exploits, ma réflexion de cette semaine est issue de la déconvenue de deux de nos vedettes de patinage de vitesse de courte piste qui, à cause de plusieurs malchances, se sont retrouvées dans le bas des classements. Bien que je partage la déception de Charles Hamelin et Marianne St-Gelais, je me suis mis à penser à ces athlètes de l’oubli. Ceux que nous connaissons peu ou pas. Ceux qui ont fini 17e , 23e ou 30e à 2,54 (chiffre fictif) secondes de la meilleure (!!!) performance au monde.
Et que dire de ceux ou celles qui, de peu, n’ont pu participer au Jeux. On dit que finir quatrième d’une compétion, c’est comme embrasser sa soeur. J’espère que les athlètes qui étaient juste au bord de l’avion pour Sotchi avaient une épaule chaleureuse pour les consoler.
Depuis cinq ans, je m’entraîne aux trois ou quatre jours, j’enfile des heures de vélo stationnaire en spinning et plus de 1 500 kilomètres de route en vélo. Je me concentre à rouler à plus de 25km/h en moyenne … J’ai toujours eu un grand plaisir à travailler, jouer, me comparer avec des chiffres. Puis, je pense à ces gens qui ont investi tellement plus que moi à devenir des champions et qui ont échoué (!!!) parce qu’ils n’ont pas été capable d’atteindre de meilleurs chiffres.
Finalement, je pense avec un petit sourire discret à l’exploit inconnu et insoupçonné de tous ces gens qui ont su passer à travers les difficultés de l’apprentissage, dans l’espoir de maîtriser partiellement ou totalement les richesses et les secrets des mots et des chiffres. Des médailles d’or qui ne seront comptabilisées nulle part…
Yvan et Marie