Un vendredi…
Les gens, en général, aiment les vendredis. Ils se suivent, mais ne se ressemblent pas toujours…
Normalement, c’est le soir du relâchement après une semaine souvent meublée de nombreuses décisions « urgentes et importantes ». Les choix essentiels deviennent alors « qu’est-ce qu’on va manger? » et tout de suite après « on mange au resto ou on fait livrer? ». Ce dernier vendredi, toutefois, le menu de la soirée nous surprendra…
La fin de semaine a débuté au resto: souper rapide au chic St-Hubert avec la Châtelaine Martine, avec qui on a le plaisir de célébrer une belle nouvelle à la fin d’une semaine dont les péripéties n’ont pas dû lui laisser plusieurs heures de sommeil. On veut prendre notre temps mais il faut déjà partir; j’apporterai donc mon dessert dans un petit sac.
À notre arrivée, plusieurs dizaines de personnes attendent l’ouverture des portes… de l’école secondaire Henri-Bourassa. Le Gentil Géant y sera mannequin d’un soir lors du défilé de mode éthique de l’école (pour ceux qui ne le connaissent pas, Antoine est à la photo 60 et dans plusieurs autres)). Un défilé de mode éthique, c’est la présentation de vêtements très contemporains créés en recyclant des vêtements un peu fatigués. Si j’ai bien compris, pendant toute l’année, des jeunes de l’école, avec l’aide de deux boutiques (Cul-de-sac et Quatre éléments) et sous la supervision de deux enseignantes engagées ont « réinventé » plus de 180 vêtements que porteront ce soir, dans une fiesta étonnante, quelques dizaines d’élèves.
On reconnait quand même le vieil auditorium de l’école, même si une passerelle (catwalk en anglais) sépare la salle en deux et que l’éclairage nous en met plein la vue. C’est vendredi mais la salle se remplit rapidement. Ça sent l’événement. Après quelques mots d’introduction, le « spectacle » commence. Soudainement on passe de l’école à un bal masqué. La musique est forte et enlevante, les mannequins se succèdent en groupe de deux selon une chorégraphie qui permet à tous de les admirer. Certaines et certains ont une attitude et un comportement tout à fait à propos, nous hypnotisant pour quelques instants par leur personnage. D’autres sont plus « eux-mêmes » nous rappelant que nous sommes dans une école secondaire. Ce qui est particulièrement frappant c’est la pure beauté et le grand plaisir de ces jeunes hommes et jeunes femmes. Nous connaissons quelques uns d’entre eux depuis plusieurs années… quand ils étaient des enfants. De toute évidence, le temps a bien passé!
Avec les quelques parents des amis présents, nous partageons cette fierté: nos garçons, qui se sont connus turbulents et petits, sont presque devenus des hommes, que nous trouvons bien beaux! Mis en valeur par les vêtements, la démarche chaloupée ou féline, les poses, les regards appuyés, les éclairages, les cris des jeunes filles et les applaudissements, ils ont très bien joué le jeu de cette soirée d’apparat! Par contre, tout du long du défilé, je me suis questionnée à propos de cette « exposition » des corps… Fierté et perplexité s’entremêlent, encore maintenant… Comme un p’tit bout de malaise qui s’incruste, comme si le glamour, les masques et le maquillage n’avaient pas réussi à camoufler la quête éperdue de beauté et l’hypersexualisation de certains jeunes… Comme si le côté éthique de ce défilé ne réussissait pas à changer tout à fait ces standards, malgré les tentatives manifestes de conscientisation présentées hier… Bref, effervescence, célébration du culte du corps et de l’exubérance de la jeunesse: un défilé étourdissant au bout du compte. On ne boudera pas le plaisir, mais on reste songeur…
À la sortie, nous sommes accueillis par une bruine un peu froide qui ne ressemble en rien à juin. Nous pensons à Pierre-Luc, le copain de Félix, notre apprenti-politicien, qui a entrepris avec des collègues le relais pour la vie, une « marche » de 12 heures, sur l’Île des Moulins à Terrebonne au profit de la société canadienne du cancer. Sachant très vaguement où nous allons, nous nous dirigeons vers le site de cet autre événement. La température a donné à l’Île un aspect londonien. De nombreux marcheurs progressent sur des chemins balisés par de petites lanternes dans des sacs représentant des proches décédés à cause de cette maudite maladie. C’est un peu cul-cul à dire mais la scène est féérique.
Il y a sûrement des centaines de personnes qui circulent en tous sens dans cette pénombre. Comment y retrouver Pierre-Luc (que nous appellerons maintenant le Sieur de Terrebonne)? Comme en réponse à cette question, il passe tout simplement devant nous, jasant avec un de ses amis, le maire de Terrebonne! Heureux hasard ou destin, selon les croyances de chacun…
Après la surprise de s’être trouvés aussi aisément, nous nous joignons à eux pour un « tour de l’île ». Le contraste entre l’excitation du défilé de mode et le calme serein de cette marche est silencieusement étourdissant.
C’est la première fois que je me rends à cet événement. L’organisation est énorme. L’enthousiasme et la ferveur des gens est palpable. Les gens qui s’y trouvent ont vécu la maladie ou avec la maladie et ils en témoignent, à leur façon. Le souvenir de ceux qu’elle a fauchés est visuellement présent.
Dans la même soirée, on a vécu l’effervescence de manières bien différentes… Deux façons de frissonner…
Nous revenons à la maison autour de minuit. Ce vendredi fini, je me suis probablement endormi avant de toucher l’oreiller…
Yvan et Marie
