Oser vouloir changer la chanson…
Lundi, 11 juillet, 7h00, notre chambre d’hôtel donne sur la Place d’Youville â Québec. Hier, cet endroit était grouillant de gens à cause des spectacles du Festival d’été. Ce matin, elle est silencieuse et presque vide avec quelques personnes qui se rendent lentement à leur travail. Je me sens comme le lendemain du party, encore sur la douce euphorie d’un week-end fantastique et calme de la tranquillité de cette journée qui commence.
Antoine et moi, on dort encore. Nous n’avons pas roulé 220km depuis les deux derniers jours, mais nous avons participé à l’événement à notre façon, en « supporteurs ». D’une certaine façon, c’est exigeant aussi, l’encouragement!!!
Vendredi, 8 juillet, les derniers préparatifs se font sans hâte. J’avais commencé la veille à faire mes piles et tout se passe rondement. Le Capitaine m’appelle pour vérifier quelques détails. La conversation est enjouée. On aime dissimuler un certain trac par une attitude un peu désinvolte. La pièce va commencer demain et, sans se le dire dans ces mots, nous avons la conviction d’avoir bien répété. Tout ce que je peux contrôler est sous contrôle. Je dors paisiblement.
Samedi, 9 juillet, levée tôt (pour moi c’est mon heure habituelle).
Pour le reste de la famille, c’est toutefois un peu plus difficile, avouons-le! Mais nous sommes prêts aussi! Cette année, on a l’encouragement un peu plus discret que l’an dernier : Martine n’a pas fabriqué d’affiches et nous oublions subtilement les « vuvuzellas » dans le garage!
La météo sera bonne pour les deux prochains jours avec des vents pas pires pour samedi mais carrément favorables pour dimanche. Le parcours de cette année a été raccourci par rapport à l’an dernier pour rendre le défi un peu plus abordable. C’est quand même 220 km en deux jours. Le départ a lieu à l’extrémité est de Repentigny. Le site est amplement grand pour recevoir les 1800 cyclistes et leur famille et amis mais l’accès est problématique. La sortie d’autoroute est encombrée par ce flux inattendu de voitures et le stationnement est un peu difficile. Le point de départ est une ruche de bénévoles qui servent des déjeuner, réparent des vélos, échangent les maillots de cycliste qui ne seraient pas de la bonne grandeur (ou comme dans mon cas, qui semble être le seul complètement en anglais avec un drapeau du Canada à la manche. Merci Nicole d’avoir réalisé l’erreur… Quand même, on sait bien qu’Yvan aime son travail à la fonction publique fédérale, mais y a toujours ben des limites…). Plusieurs des personnages que vous avez rencontrés dans les dernières semaines sont venus avec des parents et des amis nous souhaiter bonne route : la Baronne des Jardins, les Châtelaines de Monsabré, le Gentil Géant qui semble dormir les yeux ouverts, l’Apprenti-politicien, la Blonde/Maîtresse, la Castafiore et une partie de sa famille. La solidarité des «clans» est très présente et très importante.
On rencontre la Fonceuse Épicurienne, qui nous présente fièrement son garçon Émile et son chum Sylvain, que nous appellerons à présent le Chum/chauffeur/photographe. Il nous suivra pendant les deux jours avec sourire et son appareil photo. Puis nous rencontrons une jeune femme (25 ans!!!) énergique et rieuse, parente de Sylvain, qui fera aussi le cyclo-défi. Elle s’appelle Catherine et vient de St-Alexis dans le comté de Montcalm (village de naissance de ma mère). Je la baptise aussitôt Catherine de St-Alexis. Sa «marraine spirituelle», la Grande Catherine de Russie ne lui ressemble pas du tout (http://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_II_de_Russie)
Les cérémonies de départ sont à la fois grandioses et un peu longues. Guy Carbonneau fait les interventions en français, mais il est probablement plus à l’aise sur une patinoire que derrière un micro. L’animateur anglophone est énergique et entraînant. (Certains diront un peu « trop »…) La partie où quatre cyclistes à pied escortent un vélo vide est toujours poignante. Elle symbolise la disparition d’un être cher et la volonté de vaincre cette maladie par notre action.
Enfin, on part…
(Faut dire que le départ a été considérablement retardé, à cause d’automobilistes insouciants (comme moi…) qui avaient stationné leur véhicule dans un rond-point faisant partie du trajet du convoi et ne sachant pas que le convoi passerait justement par là… Ceux qui se sont fait remorquer ont dû trouver que leurs encouragements leur avaient coûté cher…
1 800 cyclistes qui démarrent ensemble, ça ne crée pas tout de suite un mouvement très fluide (http://www.youtube.com/watch?v=NuOWlqJ4Ckc). On est un peu loin du Tour de France. On roule doucement très collés les uns près des autres. La Fonceuse est surprise par un arrêt brusque devant elle. Elle fera religieusement une génuflexion près d’une marre boueuse. Il y aura toutefois plus de peur que de mal autant pour elle que pour son vélo. Au premier arrêt, après les 30 premiers kilomètres, on n’aura roulé qu’à une moyenne de 19 km à l’heure. À ce train, faire les 120 km de cette journée pourra prendre plus de 6 heures. Heureusement, à partir de ce point, le long cortège cycliste s’étirera et on pourra rouler à des vitesses plus élevées. Le vent ne sera pas un facteur majeur mais on a l’impression qu’il est plus souvent contre nous que pour nous.
Le matin, les discussions sont variées et joyeuses. Le chum/chauffeur/photographe apparaît ici et là armé de son appareil photo. La première partie de l’après-midi est plus solitaire. On roule chacun dans sa bulle à des vitesses un peu différentes. Le vrai défi commence à une vingtaine de kilomètres de notre arrivée. Il est dépassé 15h, on a 100 km au compteur et on voudrait arriver plus vite qu’on est capable de pédaler. L’arrivée au camp à Cap de la Madeleine se fait en montant et teste notre réserve d’énergie. Nous arrivons à cette première ligne d’arrivée, heureux mais fourbus. Moyenne pour la journée 23,6 km/h.
Le Capitaine et moi avons décidé de laisser aux plus jeunes (Catherine de St-Alexis, dans notre groupe) le plaisir de coucher sous la tente. Nous avons réservé une chambre à la Maison de la Madone…On est très loin d’un hôtel quatre étoiles mais plus confortables qu’au camping du cyclo-défi. Nous sommes choyés par le chum/chauffeur/photographe qui nous offre la navette entre le camp et notre hôtel (et vice-versa). Comme l’an dernier, le souper au camp est excellent et abondant. Les discussions vives et enjouées. On apprend à se connaître par des anecdotes rigolotes (là-dessus le Capitaine peut animer de très longues soirées). Le Capitaine, la Fonceuse et Catherine de St-Alexis ont tous fait du parachutisme dans leur vie…je me sens un peu ordinaire.
Dimanche, 10 juillet, difficile à croire mais le temps est un peu frisquet; le ciel, lui, a mis ses couleurs du matin les plus spectaculaires. Le Capitaine et la Fonceuse croisent Guy Carbonneau, trouvent (dans cet ordre) un morceau de papier, un crayon et le Pépère pour que ce dernier puisse combattre sa timidité et qu’il demande un autographe pour le Gentil Géant. 7h00, le départ est lancé. Ça commence immédiatement par la rue des lamentations où des muscles raidis de l’effort d’hier provoquent de nombreuses onomatopées douloureuses de la part des cyclistes. Passage à retenir, le magasin Véniel, chocolaterie et fines gourmandises. Le réchauffement ne dure pas longtemps, le Capitaine et moi roulons autour des 30km/h, la Fonceuse n’est pas très loin en arrière et Catherine suit rapidement avec son énergie et son sourire.
Après la première pause, près de Champlain, nous faisons à travers champs un circuit de 35 km jusqu’à Sainte-Anne-de-la-Pérade. La Fonceuse fonce avec énergie et plaisir, le Capitaine et moi (et parfois plusieurs bons rouleurs) dans son sillage. Si les marathoniens atteignent parfois une espèce d’euphorie dans leurs courses, nous y sommes à ce moment. Près de Sainte-Anne, le Capitaine sent un genou le faire souffrir un peu (tient, un cycliste de Pointe-aux-Trembles qui a mal au genou!) et ralentit un peu (il sera correct par la suite). Comme l’an dernier, l’arrivée à la halte de Sainte-Anne-de-la-Pérade, est majestueuse. On a la double émotion de vouloir s’arrêter pour conserver le moment et de continuer à rouler sur notre nuage.
Il est 9h30 et il ne reste que 44 km à rouler, le soleil commence à faire sentir chaleureusement sa présence mais une petite brise nous pousse dans le dos.
À ce moment, Yvan me téléphone pour la deuxième fois de la journée. Petite crainte : nous sommes partis vers 9h45 de Montréal, Antoine, Johanne et moi, croyant avoir plein de temps devant nous… Au train où ils pédalent, le doute s’installe. Nous avions prévu être à Donnacona vers 12h00 et attendre nos athlètes. Je commence à penser que ce sera peut-être eux qui nous attendront… On file!
Aujourd’hui rien ne peut nous ralentir. J’avais averti mes coéquipiers que juste avant d’arriver à Donnacona, la côte à monter est impressionnante. J’avais juste oublié que Cap Santé est avant Donnacona et là aussi la montée n’est pas banale. L’an dernier, en arrivant à la vue de Donnacona par la 138, on faisait face à une longue descente droite vers le pont qui surplombe la rivière Jacques-Cartier ET ÇA REMONTAIT AUSSI HAUT DE L’AUTRE CÔTÉ. Cette année toutefois, on ne passe pas par cette route; la rue Notre-Dame descend de façon vertigineuse mais en faisant un long ‘S’. Mes trois ex-parachutistes revivent leurs exploits du passé en dévalant allégrement. Moi, par définition plus Pépère, je traine de la patte (à 48 km/h !!!). Mais pour monter, je vaux le pesant d’or de mon âge et nous arrivons en haut presqu’ensemble. À cet endroit, la rue devient une douce pente descendante, une bénévole à droite nous crie que nous sommes à 200 mètres de l’arrivée. C’est débile, tout se passe à vitesse grand V et au ralenti EN MÊME TEMPS. J’entends « Et voici à la ligne d’arrivée Catherine, Benoit, Nathalie et Yvan (je n’avais pas mis au courant l’organisation de nos pseudonymes) ». L’an dernier j’avais passé cette ligne presque comme un zombie tellement je me sentais comme un mort vivant. Aujourd’hui, je crie comme si j’avais compté le but gagnant de la supplémentaire du 7ème match de la coupe Stanley. Il est 12h15! La Blonde/Maîtresse, le Gentil Géant et la Castafiore sont arrivés il y a 5 minutes à peine. Même pas eu le temps de sortir les chaises et le pique-nique! On était à peine sortis faire une petite reconnaissance des lieux. Même pas eu le temps de sortir l’appareil photo de son étui!
Le chum/chauffeur/photographe et le chum et les parents de Catherine ont été pris de court par notre arrivée hâtive et arriveront un peu après. Embrassades, cris, photos, explications, anecdotes, larmes, tout se passe dans un fouillis merveilleux. Mon odomètre m’indique même que ma vitesse moyenne pour l’ensemble du cyclo-défi a été de 25,0 km/h.

De gauche à droite, Catherine de St-Alexis, La Fonceuse Épicurienne, Le Pépère à vélo et Le Capitaine Haddock à Bécane
Je dois dire que je suis très impressionnée par la performance de nos quatre cyclistes! Enfin, 220km plus tard, ils ont toujours les yeux pétillants! Je le suis également par les cyclistes qui se distinguent des autres par ce drapeau jaune accroché à leur vélo : il s’agit de survivants du cancer qui se sont impliqués dans le cyclo défi et qui ont eux aussi pédalé entre Repentigny et Donnacona. Ces personnes m’inspiraient du respect et de l’admiration lors du départ. À leur arrivée, je suis encore plus bouleversée…
Le calme étant un peu revenu, on va chercher notre bagage pour s’apercevoir qu’il y a plein de sacs qui attendent leur propriétaire. Nous, les « athlètes » du dimanche après-midi, qui ne visions pas la performance mais la réalisation…nous sommes arrivés parmi les premiers.
Tout exploit « Lalandien » se concluant par un festin, celui-ci aura la forme d’un pique-nique champêtre en dessous d’un arbre près de la ligne d’arrivée. Au groupe que je vous ai présenté s’ajoute une surprise importante : le Mousaillon (Simon, le fils de Benoit et Johanne) vient s’assoir avec ses hot-dogs et nous (ou l’inverse). Le bruit de fond est l’annonce du nom des gens qui arrivent au fil, le thermomètre indique 30 degrés C.
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Grâce à votre soutien et vos encouragements, les cyclistes du cyclo-défi 2011 ont ramassé 6,7 millions $. Un autre pas concret pour vaincre ce fléau. Dans la chanson « La tête haute » des Cowboys fringants, le texte dit :
Le doc me l’a confirmé
le mal a trop progressé
une affaire de quelques s’maines
peut-être deux mois à peine (…)
J’ai tout surmonté
la tête baissée
maintenant j’redescends la côte
et j’ai La Tête Haute
Et si, par la mise en commun de nos petits moyens, on en arrivait à changer la chanson… Comme dans la côte à Donnacona, la maladie provoquerait une descente vertigineuse qui serait suivie par une montée glorieuse, la tête haute et sans retombée, vers une grande et belle guérison…
La vie est juste tout simplement belle.
Cette aventure se termine ici en beauté. Nous sommes à la fois fiers, reconnaissants et un peu tristes : jumelé à la réalisation du projet, se trouvait le plaisir de l’écriture hebdomadaire. On a déjà hâte au prochain projet, au prochain défi, quelle que soit la forme qu’il prendra, pour partager avec vous ce bonheur des mots partagés.
Merci!
Yvan et Marie
Je m’en voudrais de finir cette série de textes sans remercier certaines personnes qui ont été marquantes dans ce projet de 20 semaines: merci à vous tous, chers lecteurs/financiers/supporteurs pour vos dons, vos réactions, vos encouragements et pour les textes de la chronique sur les moments où il fait bon vivre; merci à toutes les personnes qui ont bien acceptées le surnom que j’ai choisi pour elles et qui souvent l’ont endossé par la suite; merci aux membres du clan « Lalande-Therrien-Deslauriers » qui ont contribué à faire des deux chroniques de la période de Pâques des éléments de ce blogue pour lesquels j’ai reçu de nombreux commentaires élogieux; merci à Nathalie Turcotte (la Fonceuse Épicurienne), mon enthousiaste partenaire d’entraînement de spinning et participante au Cylo-défi, je crois qu’un lien d’amitié vient d’être créé; merci à Benoit Lalande (Le Capitaine Haddock à bécane), ton implication dans toutes les phases de ce projet et en particulier la phase écrite a été renversante, tu as assumé ton personnage avec couleur et émotion et d’une semaine à l’autre j’avais hâte de te lire; merci finalement à Marie (la blonde/maîtresse), il y a 21 ans nos chemins se sont croisés grâce à l’écriture et j’ai découvert un immense plaisir à re-partager les mots avec toi dans ces chroniques.